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    L’utilité du futile et du dérisoire
    Les actions de Jérémy Laffon

    Par Caroline Engel

     


    Les actions de Jérémy Laffon sont les symptômes d’une société dans laquelle le réel est asservi aux questions de sens et d’utilité. Elles sont réalisées dans l’espace public pour la grande majorité et sans invitation officielle. Les principes sont simples : Jérémy agit dans des contextes variés, de grands passages, souvent neutres où les problématiques artistiques et esthétiques ont disparu. Aussi, durant sa résidence à la cité scolaire Bellevue à Albi, il a teinté des flaques d’eau avec de la peinture orange1 Funky Juice on a way of an Unfunky Youth, photos, 2009." 1], lancé des fumigènes dans un couloir du lycée alors que les élèves étaient en cours.2 Funky Pong Terrorism, action, 2008. Utilisation de fumigènes réalisés (...)" 2] Avant ce temps de résidence, en « ping pong master player », il a erré dans les loges d’une salle de concert et fait rebondir, jusqu’à plus faim, une balle de ping-pong sur tous les ustensiles possibles.3 Backstage, vidéo, 2008" 3] Il encombre également les tapis roulants dans le métro d’oranges ou de bouteilles plastiques.4 Symphonie #1 opus 9&13, vidéo (3'40 & 2'30), 2005." 4]

    Que revendiquent ces actions ? Assurément le lien indéfectible entre l’art et la vie, la mise en avant de l’anecdotique, la réhabilitation du futile au royaume du tout utilitaire : gageure dévolue à la poésie et manifeste politique quotidien. Devenu bizarrerie, curiosité dans un monde mercantile, le futile est nécessaire. Car il pointe et défait les mécanismes de la routine et les comportements normés. Les actions de Jérémy sont des remèdes anti-normatifs qui tentent une déconstruction lente et poétique de l’usage. Ces actions sont des gestes anti-spectaculaires qui travaillent sur le réel. Parce qu’il perturbe l’ordre des choses et rehausse certains détails taxés de futiles, Jérémy accompagne de ses vœux le pas de côté pour lever doucement le voile posé sur la réalité : regard toujours singulier sur le réel. Richesse absolue qui échappe à l’évaluation.

    Ces actions sont menées au milieu de passants, d’observateurs incrédules ou de spectateurs passifs, qui au mieux en font une lecture littérale et immédiate ou, au pire, ne les repèrent pas. Une flaque d’eau n’est orange que si une substance y a été versée. Oranges ou bouteilles plastiques en nombre ne s’agglutinent pas spontanément au bout d’un tapis roulant. Quelqu’un y est pour quelque chose. Or aujourd’hui, toute action non spectaculaire et non médiatisée dans l’espace public ne suscite peu ou presque plus d’intérêt. Sinon un intérêt hostile comme ce fut le cas après « funky pong terrorism » à la cité scolaire Bellevue, où l’évacuation logique des couloirs enfumés a laissé la place à des emportements violents. L’artiste a écopé d’un avertissement pour une soi-disant « performance », elle-même encadrée de guillemets dans le texte.

    De ces actions, des traces manifestent en silence : des rendus d’action stylisés non documentaires. Ces actions sont supports d’expérimentations. Elles sont aussi prétextes à une expérience esthétique, à la fois pour l’éventuel témoin et pour l’artiste. L’action est une méthode, un moyen et un support de travail. L’action est la démarche artistique qui permet la réalisation matérielle d’œuvres présentées dans le circuit du monde de l’art. Les traces – photos et vidéos – sont plastiques, visuelles, inscrites dans une esthétique quasi picturale. Présentées dans des lieux d’art, elles prolongent l’action sans doute peu remarquée dans son contexte et invalident la démarche de l’artiste pour qui action et trace sont liées. Une action qui essaie de continuer à faire son œuvre auprès d’un autre public.

    Les traces sont conçues ou comme des citations d’une histoire passée ou comme des instantanés. Il y a là une mise en abyme qui ne fonctionne pas pour tout mais qui gagne à être explorée, travaillée dans le choix des supports et des formats.

    Agir partout ou presque est jouissif et témoigne d’une position. En conserver des traces correspond à la continuité logique d’un travail plastique mais répond immanquablement aux besoins d’un monde de l’art matérialiste, moins amateur d’expériences pures.

    Jérémy place son attention et la déplace selon les contextes, les environnements. L’importance et l’utilité de ses actions pointent la norme, déconstruisent l’usage et s’appuient, pour cela, sur l’esthétique comme expérience.


    1- Funky Juice on a way of an Unfunky Youth, photos, 2009.
    2- Funky Pong Terrorism, action, 2008. Utilisation de fumigènes réalisés avec des balles de ping-pong et de l’aluminium.
    3- Backstage, vidéo, 2008
    4- Symphonie #1 opus 9&13, vidéo (3’40 & 2’30), 2005.