travaux2019

 

 

 

Circuit Fermé (2)

  2016

 

Techniques mixtes (glace, encre, bois, plomb, pompe à eau, fûts métalliques),
Various materials

 



(voir la vidéo de l'installation de 2014)


Vue de l'exposition à la Fondation François Schneider, Wattwiller, 2016















































" Le mouvement de disparition commun à toutes les œuvres de Jeremy Laffon, n’est pas étranger à la conscience de l’irréversibilité du dérèglement climatique, voire aux théories qui mettent en cause l’anthropocène. Mais ses vanités offrent le spectacle de l’anéantissement du monde tout en mettant en scène la tentative de maîtriser le cours de choses, ce qui charge d’émotion l’obstination de l’acte artistique. Plusieurs sculptures résultent d’un domptage de l’entropie, par la mise en place d’une extravagante machinerie pour Circuit Fermé, ou d’autres expériences alchimistes dont les savons enchâssés comme d’effroyables témoins géologiques semblent exposer le résultat (Productivity, Run Away ! et Freaks, 2009). Plus généralement, la mise en place de processus qui s’éprouvent dans une extrême lenteur pourrait protester contre un système de production effréné responsable du péril écologique, pendant que le régime d’attention que réclament ces œuvres encouragent l’appréciation patiente des phénomènes naturels.

De ces processus de production à retardement émerge la forme monstrueuse, celle qui complexifie l’émotion esthétique, ravive les passions et l’ambiguïté entre le désir et la répulsion. Il semblerait qu’en respectant l’héritage de l’art minimal et conceptuel, en jurant par la forme géométrique et la neutralité du geste, Jérémy Laffon soit à la recherche de l’informe - quand le protocole n’aboutit pas à un autre refoulé du minimalisme : le décoratif. (...)
Dans Circuit-Fermé la fonte du cube de glace a pour premier effet la dissolution de la bande noire teintée dans la masse dans sa couche supérieure. Alors la ligne droite laisse échapper des coulures, puis se laisse aller en sinusoïdales avant d’oser des variations de gris, pendant que le cube arrondit ses arrêtes puis sculpte des cavités en se permettant même quelques étapes zoomorphes. Tout serait réglé pour produire du dérèglement. Tous ces efforts seraient au service du relâchement.

La disparition totale du cube de glace va enclencher une mécanique productive, où la forme pure laisse place à un bricolage alambiqué, actionnant des poulies puis une brutale chute de pierres dans des barils remplis de l’eau noire issue de la fonte (encore une allégorie écologique). Il semblerait que la métamorphose du monolithe ait fait naître un mouvement pur et une musique concrète (une a-synchronie de « ploc-ploc »), mais en quelques plongeons du caillou, une autre manifestation plastique apparaît, confirmant que cette industrie est encore une machine à produire une forme par délégation : l’encre diluée éclabousse les murs blancs de la galerie comme un lavis expressionniste qui imprimerait les humeurs contradictoires du temps présent en une fragile tache. « J’ai fait tout ce que j’ai pu », conclut l’artiste en s’essuyant le front.

Julie Portier, in Les métamorphoses du parallélépipède rectangle (extrait), in catalogue monographique "La Mélancolie du pongiste", éditions P.



© photographies : Raoul Ermel, Steeve Constanty & Jeremy Laffon